ALLEMAGNE - L’austérité économique depuis 1995

ALLEMAGNE - L’austérité économique depuis 1995
ALLEMAGNE - L’austérité économique depuis 1995

Allemagne.L’austérité et ses conséquences

Avec sa majorité au Bundestag réduite à dix sièges après les élections fédérales de l’automne 1994, dans un climat politique détérioré par les effets de l’austérité et par la persistance d’un chômage de masse touchant quelque 4 millions de personnes (11,4 p. 100 de la population active en 1996), le chancelier Helmut Kohl (C.D.U.) a décidé de faire de la lutte pour l’emploi et de la modernisation de l’économie allemande une des priorités de la nouvelle législature (1994-1998), avec un double objectif: conserver le consensus social et préparer l’Allemagne à remplir les critères requis pour le passage à la monnaie unique européenne. L’efficacité des solutions envisagées et parfois mises en œuvre reste très discutable, d’autant qu’elles nécessitent souvent une étroite concertation entre l’État et ses partenaires, le patronat et les syndicats.

Pacte pour l’emploi

Dès janvier 1995, le chancelier annonçait un nouveau plan de lutte contre le chômage de longue durée, doté de 3 millions de deutsche Mark répartis sur quatre ans. Les résultats économiques médiocres et la persistance du chômage incitaient plus que jamais le gouvernement et les partenaires sociaux à prendre en considération les raisons structurelles du chômage et les pesanteurs dont souffrait l’économie. De toute évidence, le modèle socioéconomique allemand atteignait ses limites, et la concurrence croissante des nouveaux pays industriels d’Asie et d’Europe de l’Est appelait, elle aussi, un sursaut. Le vieillissement de la population, les difficultés de financement de l’État-providence, la perte de la compétitivité et les contraintes de la mondialisation plaidaient en faveur de révisions déchirantes.

Confrontés à une baisse inquiétante du nombre de leurs adhérents, mais désireux de jouer la carte de l’innovation, les syndicats n’hésitaient plus à remettre en cause certains dogmes pour ne pas aggraver la fracture sociale entre ceux qui ont du travail et ceux qui en sont privés. L’accord de 1994 entre la firme automobile Volkswagen et le syndicat de la métallurgie I.G. Metall portant sur une nouvelle répartition du temps de travail en vue d’éviter les licenciements a fait école et rendu plus ouverts les débats sur la flexibilité. Les industriels, quant à eux, se plaignent que la durée hebdomadaire d’utilisation des machines soit une des plus courtes d’Europe. Ils déplorent le coût élevé du travail qui explique le chômage et le manque de compétitivité; aussi demandent-ils une réforme du système social, car les charges pèsent trop fortement sur les coûts salariaux, faussent le jeu de la concurrence internationale et incitent aux délocalisations.

Une fois encore, c’est le syndicat de la métallurgie qui surprend, en novembre 1995, en lançant l’idée d’un «pacte pour l’emploi» (Bündnis für Arbeit ): I.G. Metall propose de modérer les revendications salariales si le patronat s’engage à créer 300 000 emplois dans le secteur industriel au cours des trois années à venir. L’innovation consiste à proposer non plus des gains de productivité contre des augmentations salariales mais une modération salariale contre des créations d’emplois.

Face à l’offensive des syndicats et à la dégradation de la situation socioéconomique, le chancelier Kohl promet d’ouvrir un nouveau dialogue social. L’opposition sociale-démocrate critique la politique de stabilité monétaire, mais ses propositions (accroissement de l’endettement et politique de grands travaux) séduisent peu les milieux économiques et l’opinion.

Le pacte du 23 janvier 1996

Après plusieurs rencontres avec les ministres concernés et les partenaires sociaux, Helmut Kohl présente le 23 janvier 1996 un «pacte pour l’emploi et pour le renforcement de la compétitivité» qui vise à réduire de moitié le nombre des chômeurs d’ici à la fin de la décennie. Approuvé par la Confédération allemande des syndicats, ce texte commence par les constatations suivantes: «Le site industriel allemand est confronté à des grands défis. Ceux-ci sont amplifiés par la faiblesse de l’évolution conjoncturelle actuelle. La compétitivité s’accroît dans le monde entier. Pour préserver à l’avenir nos chances de croissance et d’emploi, il faut amorcer des transformations structurelles. Dans un premier temps, il faut renforcer la croissance et stabiliser l’emploi, accroître l’attrait de l’Allemagne comme site d’investissement et d’emploi. Des marchés porteurs doivent être gagnés, en Allemagne comme à l’étranger. Cela et la réduction du chômage, qui est beaucoup trop élevé, requièrent la mise en place de nouvelles stratégies et la contribution efficace de tous ceux qui, en Allemagne, ont une responsabilité économique ou en matière d’emploi».

Pour les auteurs du texte, il y a urgence car «à la faible propension des entreprises allemandes à investir en Allemagne» s’ajoute le fait que «les entreprises allemandes s’engagent de plus en plus à l’étranger». Après une première partie où sont examinés les «défis», la seconde partie du pacte pour l’emploi définit trois orientations (les investissements créateurs d’emplois; les adaptations nécessaires du monde du travail; le rôle accru de la recherche et de l’innovation de l’éducation et de la formation continue).

Le programme d’action

Pour ne pas se cantonner dans les généralités et montrer que l’État fédéral, dans son champ de compétence, désire assumer ses responsabilités, le gouvernement fédéral publie le 30 janvier un «programme d’action pour l’investissement et l’emploi» qui aborde neuf sujets: aide aux entreprises, finances publiques, questions sociales, emplois, restructurations, libéralisation de l’économie, formation professionnelle, logement et transports, modernisation de la fonction publique. Les cinquante objectifs de ce catalogue quelque peu hétéroclite proposent des orientations à court et à long terme, des mesures qui ne dépendent que du gouvernement et d’autres qui nécessitent le concours des partenaires sociaux ou de l’opposition parlementaire, des décisions techniques dans des domaines bien délimités ou des choix d’ordre plutôt macroéconomique, des idées déjà maintes fois avancées et d’autres beaucoup plus novatrices.

Le programme d’action se situe dans le prolongement des réflexions développées en 1990 dans le rapport gouvernemental sur le «site industriel allemand» (comment déterminer et porter remède aux faiblesses structurelles de l’économie allemande?) et des engagements de la coalition gouvernementale pour les années 1994-1998; il va dans le sens des mesures plus ponctuelles en cours de discussion et des débats de fond sur les mutations de l’économie.

La partie du programme du 30 janvier consacrée aux entreprises vise à dynamiser à court terme l’économie (en redéployant, par exemple, les aides publiques aux entreprises et en visant davantage la recherche et l’innovation) et à introduire des réformes structurelles (financements à risques, innovations). Le passage sur la politique budgétaire et fiscale se propose de faire baisser à 46 p. 100, vers l’an 2000, le pourcentage des dépenses publiques par rapport au produit intérieur brut, de simplifier et de réduire la fiscalité. Le chapitre social envisage d’abaisser, au cours des prochaines années, le taux des prélèvements sociaux à moins de 40 p 100 de leur taux actuel, de réaménager le système des préretraites (très coûteux pour l’État), de réformer le régime des retraites pour incapacité de travail. Le gouvernement veut poursuivre aussi la réforme de la santé, réduire les remboursements au titre des cures, revoir le financement de l’assurance-dépendance et diminuer les congés-maladie. Les salariés de quarante-cinq ans et plus ne devraient pas bénéficier des allocations chômage au-delà d’un an.

Des mesures plus générales portent sur l’emploi (la durée maximale des contrats à durée déterminée passera de vingt à vingt-quatre mois, et les contrats pourront être renouvelés), sur le soutien aux services familiaux et de proximité (simplification des conditions d’emploi des aides familiales). Les subventions aux entreprises minières devraient diminuer à partir de 1999, la libéralisation devra se poursuivre dans le secteur des télécommunications, des postes, de l’électricité, du gaz et de l’information. L’offre de formation professionnelle sera développée, et une amélioration des conditions générales de la construction des logements est envisagée. Adoptée en 1995, la réforme de la fonction publique visant à mieux récompenser le mérite sera rapidement mise en œuvre; les effectifs de la fonction publique seront ramenés au niveau qu’ils atteignaient en Allemagne fédérale avant la réunification en 1990.

Le plan de rigueur

Après les diagnostics et la recherche des meilleurs remèdes vient l’heure des décisions concrètes. Le 25 avril, le chancelier annonce un premier train de mesures, qu’il présente le lendemain au Bundestag. C’est un véritable plan de rigueur destiné à favoriser l’emploi en abaissant le coût du travail. Helmut Kohl justifie ce durcissement par «les changements dramatiques intervenus au plan de la concurrence économique mondiale» et par la nécessité de retrouver le chemin de la croissance. L’État ne doit plus vivre au-dessus de ses moyens, il faut cesser de vouloir maintenir à toute force les avantages acquis, adapter le niveau des prestations sociales à celui de la productivité économique et aider les personnes qui en ont vraiment besoin. Il convient d’assainir en profondeur les finances publiques et les comptes sociaux. Le chancelier a la main lourde, car les économies envisagées pour les finances publiques se montent à 50 milliards de deutsche Mark pour la seule année 1997, et même à 70 milliards de deutsche Mark si on prend en compte les réductions imposées aux assurances sociales

L’introduction précise l’esprit du programme pour plus de croissance et d’emploi: «Les entreprises et la société doivent dans notre pays préparer au XXIe siècle le site industriel allemand. Nous devons nous adapter aux transformations profondes qui ont affecté la concurrence internationale. Le chômage a atteint, avec un chiffre supérieur à 4 millions, un niveau inacceptable.» Le programme pour plus de croissance et d’emplois concrétise et développe le programme d’action en cinquante points du 30 janvier. «Son but est de permettre une plus grande dynamique de la croissance, de créer des emplois et d’assurer durablement les fondements économiques de notre État social.»

Les économies envisagées touchent notamment le secteur social. La mesure la plus spectaculaire (la réduction des indemnités salariales payées par l’employeur en cas de maladie) met en cause un acquis fondamental de la législation sociale; les indemnités passeraient de 100 p. 100 à 80 p. 100 du salaire net pendant les six premières semaines, à moins que les partenaires sociaux n’élaborent d’autres dispositions pour les salariés. Les malades devront faire d’autres sacrifices dans la mesure où l’indemnité journalière versée après six semaines de maladie sera réduite de 10 p. 100. Les familles ne sont pas épargnées; en effet, le gouvernement décide de ne pas augmenter les allocations familiales, malgré ses promesses antérieures (l’opposition l’obligera toutefois à renoncer à cet objectif).

La réduction des subventions accordées par l’État à l’assurance-chômage et aux caisses de retraite et la volonté de limiter la hausse des cotisations sociales font également partie des idées fortes du plan de rigueur. Pour favoriser de nouvelles embauches, les entreprises de moins de dix salariés pourront licencier plus facilement. Les allocations de chômage seront gelées en 1997. L’âge légal du départ à la retraite sera porté de soixante-trois à soixante-cinq ans pour les hommes et les femmes à partir de 2001, les périodes de formation seront réduites de sept à trois ans pour le calcul des points de retraite. Les cures médicales, prises en charge par les caisses de retraite, seront moins bien remboursées.

Les coupes budgétaires, le gel des salaires de la fonction publique, le report de la hausse des allocations familiales, les transferts moindres à l’Office du travail (l’A.N.P.E. allemande) et aux assurances retraites et la baisse des aides accordées aux chômeurs de longue durée (au total 50 milliards de deutsche Mark d’économies pour 1997 à partager pour moitié par l’État fédéral et par les Länder) n’étaient guère de nature à satisfaire les syndicats. Le 9 mai, une charte sociale est adoptée par la Confédération allemande des syndicats et par la plupart des organismes caritatifs; elle critique les projets gouvernementaux de réduction des dépenses sociales et présente un contre-projet. Les syndicats et l’opposition sociale-démocrate ne mettent pas en doute la nécessité de procéder à des économies, mais ils dénoncent le caractère antisocial du plan de rigueur.

Après plusieurs semaines d’actions, la Confédération allemande des syndicats organise, le 15 juin, à Bonn, une manifestation contre le programme de rigueur du gouvernement; elle rassemble quelque 350 000 personnes – un record depuis 1945 –, une participation qui dépasse même celle des grandes manifestations pacifistes du début des années 1980. Parmi les nombreux slogans, on pouvait lire: «Non à la société à deux vitesses.» «Non à l’américanisation de la société.» «Les riches doivent payer maintenant.» Le président de la Confédération déclara que Helmut Kohl allait devenir «le chancelier des chômeurs et de l’injustice sociale». Le lendemain, celui-ci répondit qu’il avait suffisamment écouté les sceptiques et les esprits chagrins, que la sécurité sociale allemande dépendait de la croissance et de l’emploi et que l’Europe avait besoin d’une Allemagne forte. D’autres manifestations suivirent en septembre, avec pour mot d’ordre «Oui au travail et à la justice sociale.» «Les défilés ne créent pas d’emplois», commenta un des ministres.

Le 13 septembre, tous les députés de la majorité gouvernementale votèrent le plan d’austérité du gouvernement, dont certaines mesures sociales prenaient effet dès le 1er octobre. Le volet fiscal du plan fut ultérieurement l’objet d’âpres marchandages entre le gouvernement et l’opposition.

Le modèle à l’épreuve

Même s’ils ne sont pas tous atteints dans l’immédiat, les cinquante objectifs du plan d’action pour la croissance et l’emploi nécessiteront un effort législatif particulièrement complexe, car si la Chambre des députés (Bundestag) est dominée par la majorité gouvernementale conservatrice, la Chambre des Länder (Bundesrat) comporte une majorité sociale-démocrate. Le budget 1997 a donné lieu à de difficiles tractations. La nécessité de réajustements économiques et sociaux n’est pas controversée, le désaccord porte plutôt sur les moyens. Les différents acteurs doivent tenir compte du fait que l’opinion publique place nettement en tête de toutes ses préoccupations la lutte contre le chômage. L’équilibre des pouvoirs, que ce soit au sein de la coalition, entre l’opposition et la majorité gouvernementale, ou entre le patronat et les syndicats, constitue un précieux garde-fou contre les risques de dérapage et de radicalisation. Négociation et concertation, patience et imagination sont requises plus que jamais en cette période de profondes mutations, d’autant que les perspectives allemandes sont plutôt sombres en matière de taux de croissance et de chômage ou de création d’emplois.

L’avenir du modèle social allemand dépend de la capacité des différents acteurs à trouver les bases d’un vrai pacte socioéconomique négocié malgré le chômage et la crise des finances publiques. En dépit des tensions et de la mise à l’épreuve de la solidarité, tout laisse à penser que ce modèle saura s’adapter et se renouveler.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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